QQA3 [ Pong dialogique ]

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Ce travail doit évidemment sa part d'emprunt à "Intruders" de Nathalie Bookchin. La nature de ses qualités l'amènent dans plusieurs directions : art, critique, esthétique, politique et le tout dans un rapport de grande complétude, alors même que les jeux reconstruits dont elle se sert sont des jeux partiels, jouables mais sans score, sans enjeux, un peu à la manière aussi de Vigilance de Martin le Chevalier.

A travers "QQA3", je suis à la fois un admirateur et un critique des "Intruders". Modestement, je pense qu'on peut (et peut-être le doit-on ?) faire des pongs... Pas un ni deux mais dix, cent, qui à eux tous vont mettre à jour quelque chose de nouveau dans le langage - dans sa forme conversationnelle - et que nous n'aurions pas vu avant, ni même autrement. Ni dans l'image ou la vidéo, ni dans le son ou l'interactivité.

Le Pong est un jeu. Ses règles sont simples : renvoyer la balle. Nolan Bushnell en a fait une première version électronique publique en 1972 (pour Atari) mais l'histoire semble plus nuancée puisqu'il y aurait au moins deux antériorités en 1958 et 1966 selon la Wikipédia.

Nathalie Bookchin en a fait pour "Intruders" un interrupteur narratif systématique, et ce, à partir d'une nouvelle de Jorge Luis Borges.

Pour ma part, j'ai tenté de mon côté d'en faire un appareil dialogique critique. Bien sûr je connaissais "The Intruders" avant de faire "Q.Q.A3" qui a sa propre genèse : j'ai écrit un texte, un dialogue, 160 échanges deux à deux, répartis en trois thèmes, écrit en plusieurs fois au long de l'année 2004, je lisais dans un temps parallèle les "Fondements de la validité des lois de la logique" dans les "Textes anti cartésiens" de Charles Sanders Peirce - qui contiennent un fameux et très court dialogue entre Socrate et Gorgias.

Ma lecture de "Vers une écologie de l'esprit" de Gregory Bateson était encore assez meuble dans mon esprit pour avoir laissé la trace de ce très beau dialogue du père avec sa fille. A moins que ce ne soit de la fille avec son père ?

A moins que le dialogue ne soit que le prétexte à ce que naisse entre eux quelque chose qui reviendra entre eux, plus tard, sous une autre forme... la reconnaissance ? la conscience de la filiation ? Allons savoir.

"Q.Q.A3" est un Pong, où les deux protagonistes se renvoient la balle, comme dans ces conversations où la forme même du dialogue nous asservi dans la posture relationnelle, dialogique, du défi guerrier... Ce qui n'est pas le cas dans "The Intruders" de N. Bookchin où l'enjeu du Pong consiste à entendre la suite de la nouvelle dite à voix haute (donc à progresser dans le récit), le même procédé est décliné ensuite en passant en revue d'autres jeux et jeux vidéos...)

Il en va autrement dans mon dispositif. Le joueur de gauche est la machine - sauf dans le troisième niveau ou le joueur tente de maîtriser l'ensemble, il s'agit tout de même du "niveau" de l'amour. Le joueur de droite (rouge) est manipulé par nous dans les trois niveaux.

Le jeu tel qu'il est aujourd'hui est un compromis, vous l'aurez senti, et si j'ai bien saisi la portée de vos critiques, entre un dispositif qui permet d'approcher la teneur d'un dialogue, et un simulacre de jeu qui ne permet pas de véritablement de jouer.

Ce que je souhaitais avant toute chose donner au lecteur :

- le pouvoir de lire le texte confortablement y compris dans les phases les plus "rapides" du jeu. Une précédente version ne possédait pas de balle, le texte rebondissait, illisible bien sûr, j'ai abandonné cette piste.

- la figuration des échanges : jouer, pas trop, juste assez pour sentir qu'on peut être dans ce mode là, de riposte, mais qui ne produit rien d'autre que de l'ersatz de pensée, en fait, même si de la pensée s'y produit, c'est en grande partie à l'insu des partenaires ! Voir les jeux de mots, les interprétations, les quiproquos...

Le sens est flottant, libre, on ne le capte que par bribes ou par erreurs. Si pensée il y a, elle se produit ensuite, a posteriori, ou de toutes les façons "entre" deux. Ainsi qu'aimait à le dire Gilles Deleuze.

Ce qui m'importe est ce qui passe entre les protagonistes. Le dialogue (comme forme) régule tout ou presque : le "poseur de questions" est dans une posture de légère infériorité cognitive (de soumission) et le "discoureur", lui maîtrise le cours des choses. Il a toujours un coup d'avance, fait les jeux de mots (les marques de l'(apparente) maîtrise).

Sauf que je me suis rendu compte en écrivant les scripts de programmation (Lingo) que lorsqu'on loupe son coup, les rôles changent ! J'ai bien sûr laissé les choses en l'état. Je n'ai rien modifié, c'était trop beau ! Une erreur de renvoi de balle et le questionneur devient le discoureur...

Luc Dall'Armellina - novembre 2004